Propos sur le territoire
Produire en Sicile… Travailler sur les terres des autres, identifier, réfléchir, ré-envisager l’existant : l’optimiser, le fabriquer et le commercialiser. Mettre en place une revalorisation innovante des gestes et des objets de la production. Être mobilisé par une méthode de valorisation territoriale, culturelle, économique, donc stimulante.
Au commencement :
Le territoire de production se trouve à l’épicentre du tremblement de terre de 1968 qui, en une nuit, a ravagé la vallée du Belice, dans la partie est de l’île. Les villes n’y ont été reconstruites que très récemment et les populations déracinées ont dû, en l’espace de trente ans, se reconstituer d’abord dans les villages de tentes – la tendopolis -, puis de baraques- la baracopolis -, pour finalement intégrer le nouveau village de Salaparuta, en 1985.
C’est d’abord parce que l’olivier est considéré comme un membre de la famille que je commence à travailler sur les oliveraies.
Ce sont des oliveraies centenaires, dont l’origine avérée commence pour la plupart d’entre elles aux alentours de 1650.
La vie d’une oliveraie s’inscrit dans le temps. Le proverbe illustre bien cette idée : « le père plante et les fils récoltent ». L’oliveraie doit nourrir les générations à venir. Elle n’a pas pour but de devoir produire vite et beaucoup, elle a pour but de nourrir la famille. La famille d’agriculteurs en Sicile jusque dans les années 50, c’était un groupe de quinze à vingt personnes ; des bras pour travailler la terre. Et l’oliveraie s’agrandissait avec la famille et les mariages.
Aujourd’hui, le taux de natalité en Italie est de 1,37%. Le nucleus familial agricole des zones où je concentre mon activité est constitué d’un enfant, parfois de deux. Une oliveraie qui nourrissait initialement de quinze à vingt personnes en nourrit maintenant de trois à quatre. Il y a un excédent et cet excédent a un coût réel. Un coût sur un marché ou le prix de l’huile est mondialisé. Un marché où oliveraies de famille se retrouvent à côté d’oliveraies exclusivement fondées sur des rendements intensifs.
Au final cet état de fait est déprimant, générateur d’insatisfactions et de découragement.
Ma réflexion a débuté là, avec ce problème de commercialisation que rencontre la petite agriculture familiale.
Un travail expérimental
On distingue presque six cents variétés d’oliviers en Italie, mais seules quelques variétés « principales » sont considérées.
Par ailleurs une oliveraie est forcément composée de différentes variétés d’olives qui favorisent la pollinisation des fleurs.
En 2004 je me suis proposé d’étudier de manière expérimentale et systématique le comportement de chaque variété, afin d’en connaître le comportement organoleptique et ses variations.
En conséquence j’ai organisé une « récolte différentielle ». Par cette expression j’ai voulu dire une récolte parcelle par parcelle, étant entendu que sur chaque parcelle nous séparons les différentes variétés dont elle est composée.
En associant le nom du propriétaire des arbres au nom variétal de l’olive, j’ai ainsi créé un système capable de faire exister un nombre infini d’huiles. Je ne suis donc plus limité à une marque unique. Au contraire, la diversité est ma particularité, la caractéristique de mon entreprise.
Ce système permet de produire les huiles de chaque variété qui participe à la composition de l’oliveraie. De plus, il permet également de constituer la carte d’identité de chaque parcelle. Du fait, j’ai pu commercialiser l’oliveraie comme une entité indépendante. Ce qui m’a permis, à l’échelle du territoire, de cartographier l’ensemble des parcelles et de leurs profils organoleptiques respectifs.
Ce travail, en fournissant des informations inédites, a donné une réelle impulsion et a ouvert sur de nouveaux horizons, sur des nouvelles possibilités. Le constat afférent est celui de la diversité et de la richesse presque infinie du territoire ; qui de pair établit les tangibles possibilités de pérenniser d’autres logiques économiques.